Bruxelles, exportatrice nette d’humour
Bruxelles est la reine de l’exportation de services : architecture durable, applications de téléphone, audiovisuel… et, dans un registre peut-être plus inattendu, l’humour. Car oui, le stand-up est un business comme un autre, que la Région a souhaité soutenir, notamment dans sa conquête de la scène internationale. Et quoi de plus approprié que le Festival OFF Avignon pour faire ses premiers pas outre-Quiévrain?
On vous détaillait dans un précédent article « Les Belges à Avignon », ce projet qui donne l’opportunité à 9 humoristes bruxellois.e.s de vendre leur premier spectacle à l’international, dans le cadre du Festival OFF d’Avignon.
Pendant un mois, André Demarteau, Dena, Gaëtan Delferière, Sacha Ferra, Nikoz, Adel, Lorenzo Mancini, Lisa Delmoitiez et Florent Losson ont ainsi fait d’Avignon leur nouveau fief humoristique, sous une canicule toute provençale.
Au programme des festivités : 3 représentations par jour à la Comédie d’Avignon ; autant d’opportunités de faire leurs preuves et de séduire le public avignonnais (mais pas que). Qu’ont-ils ramené dans leurs valises au terme d’une saison à Avignon ?
Bienvenue à la villa de la Vanne
17 juillet, 10h30. Tout semble paisible à la « casa de la Vanne » située à quelques bougainvilliers des murs d’enceinte d’Avignon. Sous la terrasse couverte, l’ambiance est studieuse. Florent Losson, doyen de la troupe du haut de ses 32 ans, a les yeux rivés sur son écran d’ordinateur. Ses doigts pianotent sur le clavier, au rythme du chant des criquets : « je dois finir un rapport pour le taf! ». Car quand il n’amuse pas la galerie sur les planches du Kings of Comedy Club, Florent est coordinateur et chargé de projets chez Groupe One.
Soudain, un « Bonjour-euh Patriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiice-euh » tonitruant vient interrompre la quiétude des lieux : Sacha, Nikoz et André sont levés: la fête peut commencer. Ça se charrie, s’interpelle, se taquine, le tout dans une joyeuse atmosphère de colonie de vacances.
Ne pas se fier, toutefois, aux apparences : derrière les pitreries, les « enchanté, Michel » façon François l’Embrouille, les crêpes « à la André » et les plongeons « à la Patrice » se cachent neuf entrepreneurs et entrepreneuses réfléchi.e.s et déterminé.e.s, aux objectifs très clairs.
Avignon, l’incontournable
Le Festival OFF Avignon, c’est près de 2 millions de visiteurs et 1500 spectacles par jour, dont 90% en première représentation (comme nos pépites). Un coup de projecteur inespéré pour qui sait se le permettre financièrement. « Avignon, c’est un peu le Fringe (d’Edimbourg), version française », contextualise Dena Vahdani, dans le milieu du stand-up depuis 3 ans. « C’est garant d’une grande visibilité mais ça coûte énormément en solo. Avec « Les Belges à Avignon », on a cette opportunité de ouf de jouer dans une superbe salle et d’être visibles par le biais des affiches et des médias, avec une petite rémunération par spectacle en prime, alors que beaucoup d’artistes le font à perte »
Et c’est Sacha Ferra, 22 ans, qui a ouvert le bal: « même s’il n’y a pas beaucoup de gens dans la salle, ça nous donne l’opportunité de peaufiner notre spectacle comme jamais ». Car chaque humoriste a l’opportunité de présenter une dizaine de dates en un mois. « À Bruxelles, c’est ce qu’on joue en un an au Kings of Comedy Club ».
« En une journée, j’ai ramené 6 personnes, dont deux qui parlent espagnol »
On le comprend vite : le nerf de la guerre, c’est le flying, tractage où l’art d’alpaguer le chaland en rue avec un bout de papier et beaucoup de gouaille. Sans ça, pas de public. Sans public, pas de spectacle. « C’est éreintant », confie Gaëtan Delferrière, scénariste de formation. « En une journée, j’ai ramené 6 personnes, dont deux qui parlent espagnol (rires) ». « L’énergie que tu dépenses en journée est celle que tu perds le soir sur scène.»
Car la règle du stand-up est formelle : même devant une seule personne, tu joueras ton spectacle. « Il y a déjà tant de trucs qui vont dans tous les sens », ajoute Dena. « Des chars, des gens qui crient, qui jouent, qui dansent. La concurrence est rude ! Un flyer, c’est juste un bout de papier : il faut impérativement parler aux gens et créer le contact pour les faire venir à ton spectacle. »
« Le spectacle est pas ouf, mais on a la clim’ »
En quelques jours, iels sont passé.e.s maîtres et maîtresses de la technique du pied dans la porte : « Demander ‘vous faites quoi ce soir’ te fait gagner au moins 15 secondes, car tu peux skipper les mondanités et être fixée assez vite », analyse Dena. « De même, tracter dans le dernier quart d’heure avant ton spectacle est une bonne stratégie car tu vends directement l’entrée. Le fait de ‘flyer’ nous-mêmes rend également l’initiative plus humaine, car peu d’artistes font leur propre promo. »
D’autres, comme Nikoz – l’un des benjamins de la troupe – proposent une réelle performance de rue : « je pense qu’il faut surprendre dans les 2 premières secondes : tu danses, tu te plies, tu fais le pitre et laisses parler ta personnalité, tes bonnes vibes, et la sauce prend. » L’enjeu est d’autant plus important pour Nikoz, qui a commencé sa saison à Avignon avec une angine : « c’est vraiment là que je me suis rendu compte que ma voix, c’était mon outil de travail et que j’avais intérêt à la chouchouter ».
André Demarteau, lui, la joue plutôt marketing offensif : « Vu que mon spectacle s’appelle « Salades, tomates, oignons », j’ai été poser mes affiches dans tous les kebabs alentours et je fais une réduction si les gens mentionnent « sauce andalouse » au guichet. »
Une performance physique et mentale
Le sourire est constant mais on décèle parfois une fatigue sous le masque de G.O.: « Niveau psychologique, c’est dur : j’ai par exemple eu une réservation pour 12 personnes qui est tombée à l’eau quelques heures avant mon spectacle. » confie ainsi Sacha. Heureusement, la solidarité est de mise : « les copains m’ont aidé à tracter et ont réussi à remplir ma salle. S’ils n’étaient pas là, je serais déjà rentré à Bruxelles. »
« Le stand-up, c’est à 90% émotionnel », estime Dena. « C’est un métier très psychologique, qui te permet de déconstruire tes blocages mentaux. Ça peut te porter très loin mais ça demande une grande force mentale ».
Ce qui n’empêche pas nos comparses de garder leur humour : « Trop, c’est trop, fieu ! On a décidé de mettre un SOLD OUT sur les affiches qui sont collées au-dessus des nôtres. L’humour belge, particulièrement, fait mouche : « le spectacle n’est pas ouf, hein, mais y a la clim … Allez viens, ça va être bien ».
Et, puisque le stand-up belge a ses émissaires en France, nos humoristes n’hésitent pas à invoquer les noms d’Alex Vizorek, de Guillermo Guiz ou encore de Fanny Ruwet comme gages de qualité : « Alex Vizorek est passé nous voir », se réjouit Adel, enthousiaste. « En une story, il nous a ramené full gens : c’était vraiment Jésus et on lui dit MERCI ! »
Le stand-up, sans statut fixe
Freelance, indépendant complémentaire, contrats RPI : il y a à Bruxelles autant de chemins (précaires) qui mènent au stand-up qu’il y a d’humoristes.
Dena, comme Gaëtan, est ainsi passée en indépendante il y a quelques mois : « c’est plus avantageux pour moi que de passer par des plateformes intermédiaires. Le truc, c’est d’être sur des projets fixes et récurrents pour s’assurer un revenu qui peut te faire vivre. »
Le statut d’indépendant, Lorenzo Mancini l’assume depuis 10 ans… mais en tant qu’architecte. Il ne se voit pas encore tenter l’humour à plein temps : « J’ai bossé dur pour me faire une clientèle ; j’ai peur de tout plaquer pour un truc qui n’est pas encore carré. Mais j’y travaille. »
« Se lancer en indépendant c’est assez effrayant, surtout d’un point de vue financier. La formule du mi-temps rassure », estime pour sa part Lisa Delmoitiez, qui travaille à mi-temps dans une ASBL et gère donc ses prestations de stand-up en tant qu’indépendante complémentaire. Même statut pour André Demarteau ou encore Florent, mais ce dernier pour d’autres raisons: « J’ai la malchance de trop aimer mon boulot pour passer au stand-up à plein temps ».
Quant à Sacha et Nikoz, ils tirent à ce jour parti du statut d’étudiant-indépendant : « Je fais ces études presque uniquement pour le statut qu’elles m’offrent, puisque je veux faire du stand-up mon métier full time », explique Nikoz. Ils ont tous les deux la chance de pouvoir compter sur l’aide de leurs parents pour la gestion des tâches administratives. « Ma mère est experte-comptable : ça aide ! »
Des boutades, par recommandé
Alors, les blagues belges, ça s’exporte ? Oui, et plutôt deux fois qu’une ! « En termes d’énergie et de rires, on est sur la même vibe qu’en Belgique », assure Gaëtan. « Il faut juste recontextualiser un minimum. Par exemple expliquer qui est Delphine Boël. »
« J’ai, dès le début, pensé un spectacle à peu près universel », analyse quant à lui Lorenzo. « J ’ai juste dû changer quelques petits trucs pour que les Français puissent comprendre, comme l’humilité et le second degré (rires) ».
Et les petites erreurs du début s’adaptent au fil des représentations : « flop systématique lors de mon sketch sur les logopèdes, jusqu’à ce que je comprenne qu’en fait ce mot n’existe pas en France », rigole Nikoz. « Même chose pour les pizzas Ristorante », renchérit André, « ici, on est plutôt Buitoni. »
C’est que l’audience ne manque pas en Francophonie : les Français, les Suisses, mais aussi les Luxembourgeois sont friands d’humour belge. En témoignent la fuite des talents belges, par exemple, vers France Inter…
Le Gala des Belges à Avignon: opération séduction
En plus de leurs représentations quotidiennes, nos talents ont également eu l’opportunité de se produire face à des professionnels du milieu (programmateurs, diffuseurs, directrices de festivals ou encore de salles de spectacles), à l’occasion du Gala des Belges à Avignon, organisé le 17 juillet par hub.brussels, le KOCC, La vie est une Fête et le What the fun.
Parmi les convives, de grands noms tels que le Montreux Comedy Festival, Olympia Production, le Festival du rire de Genève ou encore le Spotlight de Lille, qui a déjà accueilli sur ses planches Manon Lepomme, Guillermo Guiz ou encore Alex Vizorek : « le Festival d’Avignon permet de découvrir en live la nouvelle génération de l’humour », explique sa programmatrice Isabelle Baert. « L’humour belge plait évidemment à Lille ; on est voisins, et ça nous tient vraiment à cœur de programmer des humoristes belges.»
« Je suis venue découvrir les pépites de l’humour belge, car on a déjà programmé pas mal d’artistes belges chez nous. Notamment Guillermo Guiz, à ses débuts », nous apprend quant à elle Estelle Zweifel, co-fondatrice du Festival du rire de Genève et directrice du Bureau de la joie. Et d’ajouter : « Il y a un essor assez incroyable au niveau du stand-up sur la scène belge. Ce soir, il y avait énormément de talents. J’ai rarement vu un plateau avec 9 humoristes aussi qualitatifs. Toutes et tous ont un style bien à eux, y a du niveau et du travail, un phénomène de troupe qui porte : bravo à eux ! »
On croise Sacha, tout sourire : « C’est dingue, on vient de gagner des années de mise en réseau ! »
Le succès au bout du tunnel
Tunnel (nom masculin): dans le jargon stand-uppique, moment de solitude, pendant lequel l’audience ne monte pas dans le train, et qui peut durer plus ou moins longtemps.
À ce jour, l’humour n’est pas encore reconnu comme un secteur à part entière dans le monde de la culture bruxellois. « Ce que fait hub.brussels avec ce projet est donc très apprécié. Lentement mais sûrement, les choses sont néanmoins en train de changer, notamment avec Vincent Taloche et la Fédération de l’humour », souligne Florent Losson. « Le monde politique commence à comprendre que l’humour fait partie de la culture et qu’il crée aussi de l’emploi. Ce qui est dommage, c’est qu’à l’heure actuelle, dans le monde du spectacle, on voit qu’il faut souvent percer en France pour réussir en Belgique. Et là on se dit « Ah ouais, on a des talents, mais maintenant ils vivent à Paris » ».
« C’est frustrant car on a toutes les ressources en interne, mais ce sont toujours les mêmes têtes que l’on voit sur les planches, alors qu’il y a de la place pour tout le monde », renchérit Dena. « C’est maintenant à la Région de nous mettre en avant car, tout comme la bière et le chocolat, on est un produit extraordinaire (rires) ».
Et Lisa de suggérer, en fin ouverte : « avoir un espace centralisé où on peut avoir des conseils financiers, juridiques, je pense que ça pourrait aider à gérer l’aspect entrepreneur, que tu gères naturellement moins que l’aspect humoriste. Si tu gères l’aspect humoriste, bien sûr, mais ça, c’est une autre histoire (rires). »
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